CHAPITRE XVI
Leia avait l’intention d’être la première à débarquer de la navette de classe Lambda, le Bon Souvenir, quand elle atterrirait sur Dubrillion. Mais son garde du corps noghri, Bolpuhr, la battit au poteau. Il gronda à l’attention des deux hommes en armure qui couraient vers le chasseur le long de l’étroit passage menant à la tour d’atterrissage. Sans se soucier de lui, les deux hommes s’immobilisèrent, arme au poing, puis s’écartèrent pour laisser passer Lando Calrissian, qui avait l’air épuisé.
Leia courut vers lui et le serra dans ses bras.
– Je suis si heureuse de voir que vous n’êtes pas blessé, dit-elle.
– Moi, non, mais ma planète, si ! (Lando se dégagea.) Tout est fichu, Leia !
L’angoisse et la douleur perceptibles dans sa voix brisèrent le cœur de Leia. Elle regarda la ville. Elle s’en souvenait comme d’une cité élégante, aux hautes tours et aux décorations de bois sur tous les bâtiments. Elle lui rappelait les images de Coruscant datant de l’enfance de son père.
Maintenant, elle ressemble à Coruscant après le retour de Thrawn et de l’Empereur.
Les tours s’étaient effondrées et des flammes montaient des ruines. Les murs des bâtiments portaient des trous béants. La brise agitait les rideaux pendant des verrières de transpacier fracassées. Dans les rues, en contrebas, les gens avançaient sans enthousiasme, portant leurs biens les plus précieux sur leurs dos.
– Les Yuuzhan Vong sont revenus une semaine après votre départ. Ils ont pris place près de la ceinture d’astéroïdes et ils nous ont surveillés. De temps en temps, un escadron de coraux skippers venait attaquer une cible précise. Nous nous sommes battus, et nous en avons descendu quelques-uns… Mais de moins en moins à chaque attaque. On dirait qu’ils se servent de nous pour séparer de leurs rangs les pilotes faibles et stupides des meilleurs et des plus courageux. Je n’apprécie pas qu’ils nous attaquent, mais j’aime encore moins qu’ils se moquent de nous !
Elegos vint se placer à côté de Leia.
– Administrateur Calrissian, ce que vous considérez comme une moquerie est peut-être du respect ! Vous avez arrêté leur première attaque.
– Certes, mais la deuxième vague se battait différemment. Ces combattants sont bien meilleurs que les premiers. Et plus prudents. Mais je sais qu’ils préparent une nouvelle attaque.
– Ils ne s’en sont pas pris à nous quand nous sommes arrivés, dit Leia.
– C’est leur tactique actuelle. Ils attaquent quelques-uns des vaisseaux qui quittent la planète, mais laissent passer la plus grande partie. Je crois qu’ils s’attendaient à une réaction de la Nouvelle République. Mais vous n’avez rien à nous offrir venant de Coruscant, j’imagine ?
Leia désigna Elegos du pouce.
– Voici le sénateur Elegos A’Kla. Il est ici pour une mission officielle : trouver des preuves.
– Dépêchez-vous de les dénicher sénateur, avant que les Yuuzhan Vong les fassent fondre à coups de plasma !
Leia frissonna. Depuis qu’elle connaissait Lando, et même au temps où Dark Vador avait pris le commandement de Bespin, elle ne l’avait jamais vu aussi frustré.
C’était en partie parce qu’il n’avait pas envie de recommencer de zéro. Mais il y avait plus.
Lando cherche toujours des façons de tricher. Mais il a trop peu de données sur les Yuuzhan Vong pour leur faire ce coup-là.
Leia regarda les autres tours du spatioport.
– Ça m’a l’air plutôt désert. Tout le monde est parti ?
– Ceux qui le pouvaient, oui… J’ai fait venir des gardes parce que votre arrivée attirera un tas de gens qui voudraient quitter la planète.
– Comment vos défenses tiennent-elles ? demanda Elegos. Je ne vois pas grand-chose en matière de batteries de turbolaser ou de rampes de lancement de missiles.
– Vous n’en verrez pas. Les Yuuzhan Vong ont démoli les installations fixes. Tout le reste est mobile, et nous l’avons caché. Quand ils arrivent, nous essayons de les pousser vers les zones où notre artillerie est dissimulée. Ils ont compris, et ça rend les choses plus difficiles. Mais nous déplaçons les armements quand ils ne nous surveillent pas et nous leur tendons de nouvelles embuscades.
– C’est une bonne tactique, mais ça ne vous permettra pas de gagner. Nous pouvons faire mieux.
– Vraiment ? Est-ce à dire que vous avez une Etoile Noire sous la main pour pulvériser la ceinture d’astéroïdes et leur vaisseau amiral ?
– Un vaisseau amiral ? Ils ont un gros vaisseau ?
– Oui. Près de la ceinture d’astéroïdes. Suivez-moi dans mon centre de défense principal. Je vous montrerai des holos. J’en ai une tripotée. Nous avons essayé de le descendre, mais nos chasseurs n’ont pas pu s’approcher suffisamment.
Leia emboîta le pas à Lando. Elegos les suivit et Bolpuhr fila devant pour s’assurer que la voie était libre.
– Il doit avoir une faiblesse, dit Leia. Nous devons la trouver et l’exploiter.
– J’espère que nous y parviendrons.
– Nous y arriverons, Lando. Nous y sommes obligés. C’est la seule chance de Dubrillion.
Jaina sortit un comlink du placard des pièces de rechange du Bon Souvenir. Elle en tendit un autre à Danni.
– Ma mère est partie avec Lando. Nous pouvons explorer un peu et nous dégourdir les jambes.
La jeune femme blonde accepta l’appareil, le clippant au revers de sa veste.
– Je suis désolée d’avoir mis si longtemps à trouver ma veste. Vous auriez dû aller avec elle.
– Pas la peine. Avoir été enfermée avec elle pendant le voyage m’a suffi ! Je n’ai pas envie d’être là quand elle devient la « princesse Leia ».
Danni cligna des yeux, surprise.
– Mais, votre mère a…
Jaina s’engagea sur la rampe de débarquement.
–… vaincu l’Empire et protégé la Nouvelle République. Ne me regardez pas comme ça ! Je sais ce qu’elle a fait, et je l’aime beaucoup.
– Il me semble entendre un « mais » quelque part…
Jaina emprunta un escalier qui menait à la ville.
– N’avez-vous jamais eu envie de ne plus être dans l’ombre de votre mère ?
– La mienne n’est pas très impressionnante… Elle est astrophysicienne. C’est elle qui m’a appris à observer les étoiles. Je lui dois mon amour de l’espace. C’est pour ça que je me suis jointe à ExGal.
– Elle doit être fière de vous.
– Oui. Elle est contente que j’aie choisi de suivre le même chemin qu’elle.
– Faire le métier de votre père ne vous tentait pas ?
– Mes parents se sont séparés quand j’étais très jeune. Mon père, un bureaucrate, s’occupait de… réglementation. Dans le domaine scientifique, quand on doit obéir à des règles, elles ont des raisons et produisent des résultats. Je n’apprécie pas la bureaucratie. C’est aussi pour ça que j’ai voulu travailler à ExGal : la frontière de la galaxie est dix fois plus près de nous que le bureaucrate le plus proche !
Quittant l’escalier, Jaina marcha sur une pile de débris. Elle aurait pu la déplacer avec la Force, mais elle ne le fit pas. Par choix, elle essayait de ne pas être trop en contact avec la Force, car la misère des habitants de Dubrillion assaillait son esprit. Elle comprenait leur peur et leur douleur, mais ce tumulte émotionnel menaçait de la déchirer intérieurement.
– Vous avez au moins eu le choix, Danni. Avec mes parents, j’aurais seulement pu devenir une contrebandière qui sauve la galaxie, ou une diplomate qui sauve la galaxie…
– Et vous avez choisi de devenir un Jedi…
– Ça n’était pas vraiment un choix. Mes frères et moi, nous sommes très doués pour la Force.
Danni haussa les sourcils.
– Vous regrettez d’être une Jedi ?
– Pas du tout ! C’est au moins quelque chose que mes parents ne sont pas et qui n’appartient qu’à moi. C’est un peu comme avoir un jumeau : tout le monde s’attend à ce que nous soyons identiques… Et nous ne sommes même pas des vrais jumeaux !
– Je crois que je commence à comprendre. Ravie de vous rencontrer, Jaina Solo ! Dites-moi, qui êtes-vous donc ?
– Je l’ignore encore ! Après tout, je n’ai que seize ans. Cela précisé, je suis une excellente pilote, et je ne me débrouille pas trop mal comme Jedi. J’en ai un peu assez d’être la fille de mes parents, et je sais qu’il me faudra du temps pour sortir de leur ombre. Enfin, des gens me prendront pour l’espoir de la galaxie parce que je suis une Jedi, et d’autres me tiendront pour une catastrophe ambulante. Pour la même raison.
Danni posa un bras sur les épaules de Jaina.
– Quand j’avais seize ans, j’étais toute en coudes et en genoux et persuadée de tout savoir !
– Maintenant, à l’âge vénérable de vingt et un ans, vous voyez les choses de haut ?
– Je n’étais pas aussi avisée qu’aujourd’hui. Je ne voulais pas qu’on me donne de conseils !
Jaina sourit.
– Vous m’en donnerez donc, que je le veuille ou non ?
– Ce que je désirais souligner, Jaina, c’est que les gens ont le choix quand ils commencent à se demander qui ils sont. Certains décident de prendre exemple sur quelqu’un. J’ai réagi comme ça avec ma mère.
– Et l’autre catégorie essaie d’être l’opposé de quelqu’un ?
– Oui, et le problème est simple : il existe des millions de façons d’être différent de quelqu’un. Le risque d’échec est élevé, parce qu’au lieu de chercher le chemin qui vous convient le mieux et de l’adapter à vos besoins, vous écartez d’emblée tout ce qui ressemble à votre non-modèle. Vous ne voulez pas être comme votre mère, mais elle n’en possède pas moins des qualités admirables que vous pourriez souhaiter avoir.
Jaina réfléchit aux propos de Danni. Elle était à la fois déçue et soulagée que sa mère n’ait pas appris à mieux connaître la Force. Etre un Jedi lui apportait un « élément d’identité » que Leia n’avait pas. En devenant pilote, elle avait en revanche suivi la voie de son père…
La façon dont maman se consacre aux bonnes causes est certainement un trait positif. Sa persévérance et sa volonté aussi, même si ça m’exaspère parfois.
Jaina regarda Danni.
– Et cette soudaine sagesse, elle vous vient d’un coup, à dix-sept ou dix-huit ans ?
– Peut-être, avec un bon modèle !
– Parfait. Je crois que je peux choisir entre certains des meilleurs ! J’ignore encore qui je suis, mais vous m’avez montré un bon moyen de le savoir !
– C’est le moins que je puisse faire pour la moitié de l’équipe qui m’a sauvée des Yuuzhan Vong.
Les deux jeunes femmes s’arrêtèrent en apercevant une foule massée devant un entrepôt de vivres du gouvernement. Des gardes armés défendaient l’entrée et des employés, affolés, suppliaient la foule de se disperser. Ils annoncèrent qu’ils attendaient une livraison et que des centres de distribution seraient installés dans différents quartiers. Mais aucune distribution ne serait faite à partir des entrepôts. Les gens murmuraient, soupçonnant les soldats et les bureaucrates de vouloir garder la nourriture pour eux.
Danni frissonna.
– Les pauvres gens ! Quelle misère !
Jaina ouvrit son esprit et capta le désespoir de la foule. Elle tira Danni par le bras, reprenant avec elle le chemin du spatioport.
– Je savais que vous étiez sensible à la Force… Je n’aurais pas dû vous amener ici !
– L’avez-vous senti, Jaina ?
– Oui, quand j’ai ouvert mon esprit. Je l’avais fermé, parce que ça me faisait trop mal. C’est pour ça que je n’ai pas évité cet endroit.
– Vous pouvez vous isoler de la Force ? Je la croyais vitale pour les Jedi.
– Elle l’est pour tout le monde… Mais les émotions négatives sont la malédiction des Jedi. Trop d’émotions de ce type peuvent conduire un Jedi au désespoir ou à des actes irréfléchis qui mènent au Côté Obscur. Je vous montrerai comment filtrer les aspects négatifs et vous apprendrai quelques exercices simples de télékinésie. Mais d’abord, je voudrais rejoindre ma mère. Elle doit avoir une idée de la gravité de la situation.
– Vous avez raison. Merci de m’avoir fait quitter cet endroit !
– Pas de problème… Je vous devais bien ça ! Maintenant que j’ai une meilleure idée de ma destination, je finirai bien par y arriver !